Des douleurs persistantes, une fatigue écrasante, un sommeil fragmenté… La fibromyalgie frappe en silence, sans lésion visible, sans inflammation détectable. Pourtant, la souffrance est réelle. Très longtemps minimisée, cette maladie invisible affecte des millions de personnes, majoritairement des femmes. Et parmi les outils utilisés pour la diagnostiquer, figurent 18 points stratégiques sur le corps, capables de révéler la maladie lorsqu’ils deviennent douloureux à la pression. Quels sont-ils ? Pourquoi sont-ils si importants ? Et comment ce système, bien que critiqué, reste-t-il une clé essentielle du diagnostic ? Plongée au cœur d’un syndrome méconnu, mais profondément invalidant.
Qu’est-ce que la fibromyalgie ?
La fibromyalgie est un syndrome chronique caractérisé par des douleurs musculaires diffuses, une fatigue intense et des troubles du sommeil. Contrairement à une maladie articulaire ou inflammatoire, elle ne cause ni dégénérescence ni lésion détectable par les examens standards. Pourtant, son impact sur la qualité de vie est majeur. Beaucoup de patients peinent à accomplir des gestes simples du quotidien, voire à maintenir une activité professionnelle.
Le terme lui-même, composé de « fibro » (fibrose), « myo » (muscle) et « algie » (douleur), est sujet à débat. Aucune fibrose musculaire n’est observée. Certains experts préfèrent le nom de système polyalgique idiopathique diffus (SPID), mais celui-ci n’a jamais été adopté officiellement. Depuis 1992, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnaît la fibromyalgie comme une entité clinique à part entière.
Le diagnostic : un parcours du combattant
Obtenir un diagnostic de fibromyalgie peut prendre des années. En moyenne, les patients consultent une dizaine de médecins et attendent jusqu’à cinq ans avant d’être correctement identifiés. Pourquoi ? Parce que ses symptômes chevauchent ceux de nombreuses autres affections : spondylarthrite, lupus, séquelles de syndrome de fatigue chronique, ou encore souffrances liées au syndrome de l’intestin irritable.
Avant toute conclusion, les médecins doivent écarter ces pathologies par des analyses sanguines, des radiographies ou des IRM. Une fois ces causes éliminées, ils s’appuient sur des critères établis par l’American College of Rheumatology. Deux éléments sont alors déterminants : une douleur diffuse présente depuis plus de trois mois, et une sensibilité anormale à la pression sur au moins 11 des 18 points dits « tendres » ou « trigger points ».
Les 18 points douloureux : où se situent-ils ?
Ces 18 points sont répartis symétriquement de chaque côté du corps — gauche et droite — et à différents niveaux : cou, épaules, thorax, hanches, genoux. Leur pression, lors de l’examen clinique, doit provoquer une douleur locale, mais aussi une sensation de gêne généralisée. Voici leur localisation précise :
Insertion de la nuque : à la base du crâne, juste au-dessus de la première vertèbre cervicale.
Trapèzes : au milieu du muscle, entre l’épaule et le cou.
Épaules : sur la face antérieure, près de l’articulation.
Deuxièmes côtes : au niveau de la jonction entre le sternum et les côtes, légèrement au-dessus du sein.
Fesses : à l’endroit le plus saillant, à mi-chemin entre l’os iliaque et le grand trochanter.
Genoux : à l’intérieur, juste au-dessus de la rotule.
Coude : à l’extérieur, juste en dessous de l’épicondyle.
Hanches : à l’endroit où le fémur s’articule avec le bassin.
Thorax : au niveau de la région intercostale inférieure.
Chaque point est testé avec une pression standardisée, équivalente à 4 kg environ. Si 11 d’entre eux sont douloureux, le diagnostic entre en considération.
Des critères remis en question, mais encore utiles
Ces critères, établis dans les années 1990, sont aujourd’hui critiqués. Le seuil de 11 points est jugé arbitraire. Certaines personnes souffrant clairement de fibromyalgie n’en atteignent que 8 ou 9. D’autres, avec des formes sévères, ressentent des douleurs partout, rendant le test ponctuel obsolète.
De plus, la sensibilité varie d’un jour à l’autre, selon le stress, la fatigue ou le sommeil. Cela complique la reproductibilité du test. Néanmoins, ces points restent un outil clinique précieux, surtout dans les premiers stades du diagnostic. Ils offrent une base objective — aussi imparfaite soit-elle — dans une maladie souvent qualifiée de « subjective ».
Causes et facteurs déclenchants : une énigme médicale
Les causes exactes de la fibromyalgie restent inconnues. Toutefois, plusieurs hypothèses scientifiques sont fortement étayées. L’une des plus acceptées concerne une hypersensibilité du système nerveux central. Les patients perçoivent la douleur plus intensément, même en l’absence de stimulus nocif. Ce phénomène, appelé « allodynie », signifie qu’une simple pression devient douloureuse.
Des anomalies dans la transmission des neurotransmetteurs comme la sérotonine, le glutamate ou la substance P ont été observées. Ces molécules régulent la douleur et l’humeur. Leur déséquilibre pourrait expliquer à la fois la souffrance physique et les troubles anxieux ou dépressifs fréquents chez les patients.
Des facteurs génétiques jouent également un rôle. Des cas familiaux sont bien documentés. Des événements traumatiques — physiques ou émotionnels — peuvent déclencher la maladie chez des personnes prédisposées. Un accident de voiture, une infection comme la maladie de Lyme, ou un stress post-traumatique peuvent être des déclencheurs.
Évolution, prise en charge et espoir
La fibromyalgie n’est pas mortelle, ni progressive. Elle n’endommage pas les organes. Mais elle est profondément invalidante. Les douleurs et la fatigue persistent, souvent résistantes aux traitements classiques. Heureusement, elles ne s’aggravent généralement pas avec le temps. Certaines personnes constatent même une amélioration après plusieurs années.
La prise en charge repose sur une approche pluridisciplinaire : exercices doux comme la natation ou le yoga, thérapies cognitivo-comportementales, gestion du stress, et parfois médicaments (antidépresseurs à faible dose, anticonvulsivants). Le maintien d’une activité professionnelle, avec aménagements si nécessaire, est fortement recommandé pour préserver l’estime de soi et la structure quotidienne.