Des millions de personnes vivent en Europe avec une maladie potentiellement mortelle, sans le savoir. Pas de symptômes, pas d’alerte. Pourtant, leur foie est lentement détruit. Selon un rapport accablant publié à l’occasion de la Journée mondiale contre l’hépatite, plus de 60 % des personnes infectées par les virus B ou C ignorent leur statut. Un silence dangereux, qui coûte chaque année des dizaines de milliers de vies. Derrière cette épidémie invisible, un constat implacable : le diagnostic tarde, la prévention peine, et les décès évitables s’accumulent.
Un fléau silencieux fait des ravages
En Europe, 5 millions de personnes vivent avec une infection chronique par l’hépatite B ou l’hépatite C. Parmi elles, plus de 3 millions ne sont pas diagnostiquées. C’est l’alarme lancée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) dans son rapport publié le 28 juillet 2025.
Ces virus, transmis par le sang ou par voie sexuelle, sont redoutables de discrétion. Pendant des années, ils peuvent évoluer sans symptômes apparents. Le patient se sent bien. Trop bien. Et pendant ce temps, le foie subit des lésions progressives. Inflammation, fibrose, puis cirrhose ou cancer du foie : le scénario est tragiquement prévisible.
L’ECDC est sans appel : chaque année, près de 50 000 décès sont liés à ces hépatites chroniques dans l’Union européenne et l’Espace économique européen. Dont 15 000 dus à l’hépatite B, et 35 000 à l’hépatite C. Des vies perdues. Des familles brisées. Des souffrances évitables.
Pourquoi tant de cas passent inaperçus ?
La réponse tient en un mot : silence. L’hépatite B et C sont des maladies dites « silencieuses ». Elles peuvent rester indétectées pendant des décennies. Une personne peut être infectée à l’adolescence, lors d’un piercing mal stérilisé ou d’un rapport non protégé, et ne le découvrir qu’à l’âge adulte, lorsque des complications graves apparaissent.
Selon l’ECDC, 65 % des personnes porteuses du virus B et 62 % de celles atteintes du virus C ne bénéficient d’aucun traitement. Pas parce qu’il n’existe pas. Mais parce qu’elles ne savent pas qu’elles en ont besoin.
Marieke van der Werf, cheffe de section aux infections transmissibles par le sang à l’ECDC, met les points sur les i : « Nous devons intensifier les efforts de prévention et de dépistage. L’hépatite chronique est responsable de dizaines de milliers de décès évitables chaque année. »
Des conséquences médicales et économiques colossales
Au-delà du drame humain, le coût pour les systèmes de santé est colossal. Plus le diagnostic est tardif, plus les traitements sont complexes, coûteux, et souvent moins efficaces. La cirrhose, le cancer du foie, les transplantations hépatiques : autant de complications qui pèsent lourdement sur les budgets publics.
Un diagnostic précoce, en revanche, change tout. Pour l’hépatite C, des traitements antiviraux à action directe permettent aujourd’hui une guérison dans plus de 95 % des cas. Pour l’hépatite B, bien que non curable, des traitements efficaces existent pour contrôler le virus, réduire l’inflammation et prévenir les complications.
Mais tout commence par un test. Simple, rapide, souvent gratuit. Pourtant, il reste sous-utilisé. Surtout chez les populations à risque : usagers de drogues injectables, personnes nées entre 1945 et 1975, migrants en provenance de zones endémiques, ou encore hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
Vers une élimination d’ici 2030 ?
Les Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU visent à éliminer l’hépatite virale d’ici 2030. L’objectif est ambitieux : diagnostiquer 90 % des personnes infectées, traiter 80 % des éligibles, réduire de 90 % les nouvelles infections et de 65 % les décès.
Pour y parvenir, l’ECDC appelle les autorités sanitaires à agir sans délai. Renforcer la vaccination contre l’hépatite B, notamment chez les nourrissons et les groupes à risque. Développer des campagnes de dépistage ciblées. Améliorer l’accès aux tests, y compris les autotests.
Il faut aussi soutenir les programmes de réduction des risques : distribution de matériel stérile pour les usagers de drogues, espaces de consommation supervisés, éducation à la santé sexuelle. Enfin, garantir des parcours de soins clairs et accessibles, sans stigmatisation.
Parce qu’une hépatite détectée à temps n’est plus une sentence. C’est une maladie maîtrisable. Une vie sauvée.